« Get on up » : la gentrification du cinéma noir
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Maintenant, je ne prétends pas que « Hollywood » soit intéressé à transformer les choses brunes en blanches. Néanmoins, je pense que « Hollywood » souhaite faire des images qui soient digestes pour un public plus large. Le directeur qui peut offrir les plus larges coups de pinceau rafle la mise. Le réalisateur capable de distiller des images jusqu’à leur état le moins éloquent, prend les rênes. On peut reconnaitre un réalisateur à son esthétique, à sa manière dont il vous livre un film. Comme pour les peintres, si quelqu’un se retrouvait dans une pièce avec un tableau de Picasso ou Basquiat, il pourrait dire la différence qui existe entre eux. De même, avec Spielberg, Scorsese, Lee ou Malick, on peut reconnaitre le réalisateur par l’atmosphère, le visuel, la musique, l’emprunte spécifique qu’ont ces réalisateurs. Et c’est pourquoi nous les apprécions.Malheureusement, à mesure que « Hollywood » dérive de plus en plus vers un modèle économique au détriment du modèle artistique, l’emprunte, la vision spéciale offerte par les réalisateurs que nous apprécions, et que nous aimons découvrir, disparaissent. Mater les bandes annonces, c’est comme voir une série de films par le même réalisateur fade. Les histoires sont banales, délivrent des lieux communs, des situations vaguement amusantes, des explosions, un langage banal et peu sophistiqué destiné à satisfaire un public nombreux, qu’il vive en Idaho ou à Baltimore. Ecrits pauvrement et sans complication, les films deviennent des tapins redondants de deux heures du box-office. Ce que mes nièces considèrent être du cinéma, est différent de ce que je considère, moi, être du cinéma..
Le cinéma est une expérience. Une expérience qui vous accueille dans la vie d’autres. Une expérience qui vous conduit vers des terres étrangères, vers vos voisins ou des idées et des thèmes qui vous encouragent à affronter qui vous êtes et quelle est votre place dans la culture. Aujourd’hui, les films vous sont commercialisés et vendus avant que vous ayez acheté un billet. La vision spécifique du réalisateur, la manière unique dont il voit le monde, n’a plus d’importance.
Et le cinéma « indépendant » n’est pas exempt de tout reproche. Sundance maitrise vraiment l’esthétique de la « famille dysfonctionnelle ». Film blanc après film blanc se sont acharnés à nous offrir des films aux idées les plus dysfonctionnelles et moins chargées possibles. D’habitude, les films nous transportent avec des effets visuels, avec des mots, avec des idées. Pour moi, « Rachel se marie », était un film parmi d’autres, qui a parfaitement exhibé le dysfonctionnement blanc en y ajoutant des éléments de noirceur (blackness) pour saupoudrer le tout. J’ai vite perdu tout intérêt pour le cinéma indépendant américain. Il y a un manque de diversité dans la vision, l’esthétique, les thèmes. Je me tourne maintenant vers le cinéma d’Afrique, d’Europe ou d’Asie pour assouvir mes envies de cinéma.

Lorsqu’on lui a demandé de réaliser « Beloved », Jane Campion a dit qu’elle n’en savait pas assez sur la culture noire, à propos de la vie de « Beloved », pour prendre les rênes. Je respecte cela. Et j’espère, durant ces années, que Jane Campion a rattrapé son retard sur la culture noire, et serais ravie de la voir diriger une distribution diversifiée. Mais je respecte sa réticence. Elle exprime quelque chose de très important. Elle nous montre que la réalisation d’un film nécessite davantage que la capacité qu’on peut avoir de jeter des images sur un écran. Une vie doit informer l’œuvre. On doit être connecté à l’expérience de l’objet. Réaliser consiste à distiller le contenu et à délivrer le cœur de l’objet à un public. Malheureusement, le désir de faire ça s’estompe.
Il ne s’agit pas de transformer les Noir-e-s en Blanc-he-s. La gentrification de Hollywood consiste plutôt à faire que tout ressemble, sente et sonne de la même manière. Mon quartier de Brooklyn, autrefois beau et unique à cause de tous les êtres et cultures différents, est rapidement en train de devenir quelque chose que j’ai déjà vu avant. Il a moins de funk. Il y a des range-vélos, des couples avec des poussettes, des hipsters avec barbe et lunettes de soleil qui font un jogging. Ça va du brun au blanc juste devant mes yeux. Il y a toujours du bon à cela. Plus de ressources affluent, de meilleurs produits, mais l’âme, l’esprit du quartier sont partis. Mon quartier a été raffiné. Je refuse d’acheter un billet pour le raffinage de James Brown.Source : Indiewire.
Traduit de l’anglais par K.D., pour Etat d’Exception.